Très récemment, (le 8 juillet 2014), les représentants du secteur financier se sont réunis dans la capitale française pour préparer l’établissement du nouveau volet de la régularisation financière européenne. En tenant compte de l’objectif de cette réunion, on peut déduire qu’ils ne sont pas totalement au courant de l’existence de la perspective appelée « TiSA ». Il s’agit d’un accord ou d’une négociation secrète, susceptible de menacer toute volonté de réglementation d’une cinquantaine de pays.
Le mois dernier, c’est-à-dire le 19 juin 2014, WikiLeaks, (un site d’alerte qui publie des fuites d’informations) a publié un document de travail concernant un chapitre de l’accord qui est consacré aux services financiers. Bien sûr, ce document, qui date d’avril 2014, n’est pas un texte définitif puisque le TISA est en cours de négociation jusqu’à aujourd’hui. Toutefois, il donne un véritable aperçu de ce à quoi s’attendre avec ce pacte de libéralisation qui est déjà critiqué.
TISA, de quoi s’agit-il vraiment ?
TiSA, (Trade in Services Agreement ou Accord sur le commerce des services in french) est un accord commercial mis en place à l’initiative des Australiens et des Américains. Il implique 23 pays, lesquels se désignent eux-mêmes les « très bons amis des services » ! Le principal but de ces pays est de continuer la libéralisation des services établit par l’AGCS (Accord Général sur le Commerce des Servicesou GATS en anglais). Antiprotectionnisme, cet accord, qui datait de 1994, ouvrait plusieurs portes à la concurrence.
Mis à part les Etats-Unis et l’Union européenne (avec 28 Etats), 22 pays sont également impliqués dans les négociations. L’Australie, le Canada, le Chili, l’Islande, l’Israël, le Japon, le Liechtenstein, le Panama, le Paraguay, le Taipei chinois, la Colombie, le Costa Rica, le Hong Kong, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, le Norvège, le Pakistan, le Pérou, la République de Corée, la Turquie figurent aujourd’hui parmi les négociateurs.
TiSa cherche avant tout à diminuer au maximum les obstacles qui freinent les entreprises d’un pays à exercer leurs activités de service dans un autre pays. Les quotas nationaux, les marchés publics monopolisés ainsi que les réglementations protectrices font partie de ces obstacles. En les réduisant, le TiSA favorise ainsi la croissance internationale des entreprises. D’après Peterson Institute for International Economic, un laboratoire d’idée qui se penche sur les problèmes économiques internationaux, la chance pour un service d’être exporté est actuellement moindre par rapport à celui d’un bien matériel.
Pourquoi avoir mis en place le TiSA ?
TiSA montre explicitement que les accords de libéralisation multilatéraux impliquant tous les pays du monde sont trop compliquées et peu fructueux : le cycle de Doha, lancé depuis 2001, à l’initiative de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) n’a atteint que 10% de ses objectifs en une décennie !
Les pays négociateurs du TiSA veulent trouver entre eux-mêmes leur propre arrangement, avant de revenirà la table ronde de l’OMC, afin de l’imposer à tous les pays du monde. « Si nous ne parviendrons pas à convaincre tout le monde, pourquoi ne pas se mettre dans un coin pour débuter cet accord de dérégulation financière, et peut-être après y impliquer tout le monde ? », récapitule Lori M. Wallach avec un ton ironique. Cette dernière est la fondatrice et directrice de Public Citizen’s, une ONG qui proteste contre le TiSA.
Quels sont les intérêts mis en jeu ?
On constate à travers la constitution des groupes de pression aussi bien européens qu’Américains, les intérêts se dégager pour des secteurs particuliers : les services financiers, le transport maritime, le courrier et la livraison, les monopoles publics, l’e-commerce, les technologies de l’information et de la communication et les services informatiques.
«Par exemple, TiSA représente l’occasion que les USA nous permet enfin d’accéder à leur marché de transport aérien », justifie-t-on à la Commission. Par ailleurs, des géants des échanges d’informations bancaires, comme PayPal et Visa se sont impliqués largement dans le lobbying.
Pour défendre l’accord, le groupe de pression américain Team Tisa évoque l’existence en permanence de blocage au commerce international, tels que « la propriété locale forcée » « le mouvement limité des données à travers les limites territoriales », « la concurrence déloyale des entreprises publiques » ainsi « le manque de transparence.
En France, le Medef (Mouvement des Entreprises de France) est accompagné par Veolia Environnement et Orangedans les processus de négociations. Pour le moment, ces derniers n’ont pas souhaité dévoiler les motifs de leur engagement dans ce travail de lobbying.
Quel changement concret apportera le TiSA ?
A ce jour, le document de travail publié par WikiLeaks est le seul outil qui nous permet de connaître le changement qui va être apporté par le TiSA. Comme précité, ce document porte sur un seul chapitre de l’accord, dédié aux services financiers. Les outils qui y figurent soutiennent largement la libéralisation des secteurs concernés par l’accord.
Effectivement, dans le volet financier, TiSA suggère l’établissement d’outils qui permettent de revenir sur certains progrès régulatoires issus de la crise financière. « On a déjà commencé à retrancher la régulation, en affirmant notamment que certaines de ces règles relevaient simplement de la prudence, alors qu’elles sont tout à fait indispensables à la stabilité du système », a déclaré Myriam Vander Stichele, une adhérente d’un organisme de régulation financière.
Selon cette chercheuse, TiSA n’est autre que la « tête de pont » du FATCA, un autre accord de libre-échange, qui est en cours de négociation entre les mêmes partenaires principaux : l’Europe et l’USA.
Par ailleurs, TiSA s’est inspiré de l’une des idées principales de Tafta (Trans-Atlantic Free Trade Agreement ou accord commercial trans-atlantique). En effet, il a repris le principe de « coordination », lequel proscrit la mise en place d’une régulation susceptible de porter préjudice à l’un des signataires. On peut dire donc qu’il s’agit d’un moins-disant régulatoire généralisé.
La tendance à la dérégulation est renforcée aujourd’hui. C’est pour cette raison que les représentants des produits spéculatifs et des produits dérivés populaires sur les marchés financiers, ont très récemment porté plainte contre le régulateur américain, le CFTC. Selon eux, l’action trop sévère de ce dernier dans le contexte de coopération internationale suppose, que les règles soient plus strictes si l’on veut les infliger à un grand nombre.
Les accords sont-ils vraiment secrets ?
La négociation n’est pas absolument secrète. Totalement discrète pendant longtemps, l’administration américaine a commencé de parler du TiSA en juin 2014. Cependant, le Congrès américain avait été déjà officiellement mis au courant de l’ouverture des négociations au début 2013.
Avec les votes de la droite et des socio-démocrates, le Parlement européen quant à lui a donné un mandat de négociation à la Commission. Cette dernière a lancé une consultation publique s’adressant aux lobbys industriels et aux ONG après l’établissement des négociations.
Les contenus mêmes des négociations restent dans l’ombre actuellement. En effet, comme précise le site BastaMag, seuls 3 pays, l’Islande, la Norvège et la Suisse, ont rendu public leurs propositions.
Autre point qui mérite une attention : comme tous les autres documents de travail de TiSA, le projet d’accord dévoilé par Wikileaks, doit rester secret pendant les cinq années qui suivent l’éventuelle application du traité. Seul le texte officiel définitif doit être divulgué ; toutefois, garder secrets les documents de travail préparatoires entrave la bonne compréhension des implications des accords commerciaux.
Date : 13.08.2014