À la fin de 2024, le Portugal a franchi un cap historique avec 1 546 521 résidents étrangers sur son territoire, représentant environ 15% de sa population totale de 10,6 millions d’habitants. Cette évolution marque un changement démographique radical pour ce pays traditionnellement d’émigration, qui a vu sa population étrangère quadrupler depuis 2017.
Une transformation démographique accélérée
Cette métamorphose démographique s’est produite sur une période remarquablement courte. En moins d’une décennie, le Portugal est passé d’un pays à faible taux d’immigration à l’une des destinations les plus prisées d’Europe pour les nouveaux arrivants. Cette évolution reflète non seulement les politiques d’ouverture adoptées durant cette période, mais aussi l’attractivité croissante du pays sur la scène internationale.
L’augmentation spectaculaire du nombre de résidents étrangers s’explique en grande partie par les besoins criants du marché du travail portugais. Des secteurs entiers de l’économie dépendent désormais de cette main-d’œuvre venue d’ailleurs.
L’hôtellerie-restauration, la construction et les services administratifs figurent parmi les principaux employeurs d’immigrants, mais cette tendance s’observe également dans d’autres domaines comme la santé, les technologies et l’agriculture.
Un moteur économique incontournable
Les chiffres sont éloquents : entre 2014 et 2023, la proportion d’étrangers dans les entreprises portugaises a presque triplé, passant de 7,9% à 22,2% de la main-d’œuvre totale.
Cette évolution témoigne de l’importance cruciale de l’immigration pour l’économie portugaise, confrontée simultanément au vieillissement de sa population native et à des besoins de main-d’œuvre croissants.
Plusieurs facteurs ont contribué à faire du Portugal une destination attractive pour les travailleurs étrangers. Le coût de la vie relativement bas comparé à d’autres pays d’Europe occidentale, la qualité de vie reconnue, le climat favorable et une réputation d’accueil chaleureux ont tous joué en faveur de cette tendance. De plus, les politiques migratoires relativement ouvertes jusqu’à récemment ont facilité l’installation légale de nombreux migrants.
Un tournant politique en 2024
Cependant, l’année 2024 a marqué un point d’inflexion significatif dans la politique migratoire portugaise. En juin, le gouvernement a procédé à une réforme majeure en supprimant le régime dit de la « manifestation d’intérêt », un mécanisme qui permettait aux étrangers d’entrer au Portugal avec un simple visa touristique puis de régulariser leur situation une fois sur place.
Cette décision a eu un impact immédiat et mesurable : depuis cette réforme, les nouvelles entrées ont chuté de 59%.
Ce changement de cap reflète des préoccupations croissantes concernant la capacité d’absorption du pays et les défis liés à l’intégration d’un nombre aussi important de nouveaux arrivants en si peu de temps.
Les autorités ont justifié cette mesure par la nécessité de mieux contrôler les flux migratoires et de privilégier une immigration « organisée » plutôt que de gérer des régularisations massives a posteriori. Néanmoins, cette décision a suscité des critiques de la part d’organisations de défense des droits des migrants et de certains secteurs économiques craignant une pénurie de main-d’œuvre.
L’équilibre délicat entre contrôle et nécessité économique
Malgré ce durcissement récent, les projections officielles suggèrent que le nombre de résidents étrangers pourrait atteindre 1,6 million dans un avenir proche.
Cette estimation illustre la tension existante entre la volonté politique de réguler l’immigration et la réalité économique du pays.
Des études économiques soulignent cette contradiction : pour maintenir une croissance annuelle de 3% ou plus, le Portugal devra continuer à attirer et à retenir des travailleurs immigrés. Face au déclin démographique naturel et au vieillissement de sa population, l’immigration apparaît comme une solution incontournable pour assurer la viabilité économique et sociale du pays à long terme.
Les défis de l’intégration
Au-delà des chiffres et des considérations économiques, cette transformation démographique rapide pose d’importants défis d’intégration. L’accès au logement, déjà problématique dans les grandes villes comme Lisbonne et Porto, s’est davantage compliqué avec l’afflux de nouveaux résidents.
Les services publics, notamment dans les domaines de la santé et de l’éducation, font face à une pression accrue.
Ces défis s’accompagnent également de questions identitaires et culturelles pour une société qui, historiquement, a été relativement homogène. Le Portugal se retrouve ainsi à un carrefour, cherchant à concilier son besoin économique d’immigration avec les préoccupations liées à l’intégration et à la cohésion sociale.
Le Portugal de 2025 est donc confronté à un dilemme fondamental : comment maintenir une croissance économique qui dépend largement de l’immigration tout en assurant une intégration harmonieuse et en répondant aux inquiétudes d’une partie de sa population? La réponse à cette question façonnera profondément l’avenir de ce pays qui, en l’espace d’une génération, est passé du statut de terre d’émigration à celui de société multiculturelle en pleine transformation.