Les Chinois veulent dédollariser l’ensemble de l’Asie et l’effet de la baisse de l’USD ferait plus de mal à l’UE qu’aux USA, estime le financier français basé à Hong Kong, Charles Gave.
L’économiste et financier français Charles Gave est le fondateur d’une entreprise de recherche et de conseil financier, GaveKal, et de l’Institut des Libertés.
Votre analyse de l’évolution des marchés financiers ?
Dans le secteur financier, il y a des moments où il faut gagner de l’argent et des moments où il ne faut surtout pas en perdre. Selon nos études, nous sommes en période de transition de la première à la seconde étape.
Sur quels éléments vous basez-vous ?
En économie, si l’inflation baisse et que la croissance monte, c’est que vous êtes en présence d’un «boom market».
Par contre, si l’inflation commence à monter et que la croissance stagne, la situation devient toujours plus difficile.
Or, dans un certain nombre de pays, on constate un regain d’inflation et une croissance qui ralentit. C’est le cas de l’Allemagne, par exemple. Il s’agit d’un signe annonciateur de problèmes économiques.
De plus, il est difficile de gagner de l’argent quand le prix du baril de pétrole double en moins de douze mois. La hausse du prix du pétrole, ce n’est rien d’autre qu’une augmentation d’impôts ; cela enlève du pouvoir d’achat aux ménages et organise des transferts financiers vers les pays du Moyen-Orient qui les gèrent le plus souvent fort mal.
Votre avis au sujet de la politique monétaire de la FED et son impact sur les marchés ?
Une blague fort connue dans les salles de marchés :« Il faut savoir si dans le métier, il y a plus d’argent que d’idiots… ou plus d’idiots que d’argent. » La FED est en train de réduire la quantité d’argent disponible et le nombre d’idiots reste le même.
Cette baisse de quantité d’argent disponible va par avoir des conséquences sur les prix.
Il convient donc de vendre les actions américaines ?
Pas nécessairement. Vous ne pouvez pas vendre un actif sous prétexte qu’il est cher. Le marché actions américain est surévalué depuis trois ans maintenant et il a doublé. Il me semble qu’il est cher. Cela n’a, pour l’heure, aucune importance. Il va d’ailleurs peut-être doubler, avant sa prochaine baisse.
Mon expérience m’enseigne que lorsqu’un marché financier s’oriente à la baisser, vous ne savez jamais vraiment pourquoi il baisse, et que vous pouvez l’expliquer, c’est souvent déjà trop tard.
Les autres facteurs qui pourraient impacter les marchés financiers ?
On constate au niveau international, une volonté des Chinois de dédollariser l’ensemble de l’Asie. Ils essaient par des achats en Yuan ou en or, de dédollariser le marché mondial du pétrole.
Il existerait dans le monde de l’ordre de près de 1.500 milliards d’USD dans les bilans des sociétés pétrolières ou de commerce international. Ces Dollars ne sont là que pour servir aux négoces, en matière de pétrole. Ces 1.500 milliards d’USD, inutiles à terme, pourraient « refluer » vers les USA, entraînant très probablement une baisse sérieuse de la valeur du billet vert.
Si cet évènement devait se produire, vous n’auriez, de fait, plus besoin de dollars pour acheter du pétrole. On trouvera des réserves de dollars inutiles partout – aussi bien dans le domaine privé que dans le domaine public. Si tous ces acteurs de l’économie vendent le dollar risque de s’affaiblir !
Avec pour conséquences ?
Pour les USA, cela ne changerait rien, puisqu’un dollar reste un dollar (le pétrole, ils l’ont chez eux et les USA d’ailleurs n’exportent pas plus que ça !). Ils enregistreront, par contre, une baisse de leur niveau de vie, du fait de la hausse des prix des produits importés.
En même temps, ils pourront réindustrialiser leur économie. Il s’agit là de la politique de Donald Trump : se réindustrialiser et faire baisser la valeur du dollar américain.
Vers un effondrement de la valeur du dollar américain ?
Je ne crois pas du tout à un écroulement du dollar. Si vous êtes un riche en Asie ou en Amérique du Sud, et que la valeur du dollar américain commence à baisser, cela entraînera une baisse de la valeur des actifs aux USA – les prix des maisons en Floride baisseront.
Cela entrainera un rapatriement des capitaux. La sécurité juridique des Etats-Unis et son attractivité empêcheront le dollar de trop baisser. S’agissant des taux des obligations américaines, je ne suis pas certain qu’ils remonteront.
Concernant le reste du monde, et notamment l’Europe ?
La baisse probable du billet vert aura un impact certain sur les économies européennes : les calculs de parité de pouvoir d’achat démontrent que l’économie allemande peuvent rester compétitive avec un dollar américain à 1,50 pour un Euro. Par contre, les Italiens, au-dessus de 1,20 seront très mal en point.
Le fait que la Chine soit en train de tenter de dédollariser l’Asie entraînera une baisse du dollar américain et affectera de facto la zone Euro ; vous aurez une récession sévère en Italie et les banques seront en grande difficulté. Et les prêts non performants des banques italiennes représentent déjà 16% du PIB italien !
Que pensez-vous des mesures protectionnistes du Président Donald Trump ?
Il ne s’agit pas d’une guerre commerciale, mais d’une une guerre financière entre la Chine et les Etats-Unis. En effet, la guerre commerciale, les Américains l’ont perdue, il y a une dizaine d’années.
D’ici quinze ans, la première place financière mondiale, ce sera Hongkong. Une obligation chinoise rapporte plus aujourd’hui qu’une obligation américaine et avec une volatilité plus faible.
On note un transfert du pouvoir économique de l’Ouest vers l’Est. Le prochain transfert sera le pouvoir financier au bénéfice de la Chine.
S’agissant de la zone euro, croyez-vous-en une harmonisation fiscale permettant d’améliorer la compétitivité de cette même zone ?
C’est possible mais moyennant de très importants transferts sociaux. Cela revient à dire que l’Allemagne paierait pour l’Italie. Or, on constate que les transferts au sein de l’Italie, de l’Italie du nord au bénéfice de l’Italie du Sud, a ruiné… le sud de l’Italie !
Vous ne résolverez jamais les problèmes de compétitivité économique par des subventions publiques.
Quel risque cela représente-t-il pour l’Europe ?
On définit le plus souvent le risque par la volatilité d’un actif. Je définis, pour ma part, le risque comme la probabilité de perdre l’ensemble de mon investissement.
Or, quel est l’actif au monde qui peut aujourd’hui disparaître et où vous ne reverrez jamais votre argent ? C’est le marché obligataire européen (obligations italiennes, françaises) puisque tout cela, ne vaut rien.
De surcroît, ces pays ont des démographies effroyables, de sorte qu’ils ne rembourseront jamais leurs dettes. Donc, le danger financier dans le monde, c’est bien l’Europe.